Philippe Delecroix, Philippe Sachetti, fondateurs du Labo de la Confiance
1 – La confiance, qu’est-ce que c’est ?
La confiance est la base de toute relation. La recherche, puis l’analyse de preuves peut renforcer la confiance ou au contraire créer un nouveau sentiment : la méfiance.
Plus précisément, la confiance est l’évaluation d’un risque dans l’engagement à une relation.
Elle est le marqueur de l’incertitude que l’on a sur le comportement de l’autre.
Faire confiance est un pari, celui d’accepter de se rendre vulnérable aux actions de l’autre, sur la base d’une croyance.
La confiance est donc le mécanisme qui rend possible la relation en présence d’incertitudes.
2 – Comment caractériser la confiance ?
La confiance s’enracine dans un système symbolique mêlant connaissances et croyances. Elle possède 3 grands fondements :
- Un fondement rationnel : Le raisonnement repose sur l’idée qu’une Marque qui investit dans des actifs tels que la publicité ne peut courir le risque de voir cet investissement perdu en ne tenant pas ses engagements. On peut lui faire confiance a priori en pariant sur la rationalité de ses choix et la sincérité de ses promesses.
- Un fondement cognitif : un consommateur sera d’autant plus enclin à faire confiance à une Marque qu’il est en mesure d’évaluer certaines caractéristiques de l’entreprise sous-jacente, susceptibles de le rassurer. La première de ces caractéristiques est la compétence, gage de fiabilité de l’entreprise et de crédibilité de ses promesses. Cela passe par exemple par des labellisations, des certifications, des qualifications qui tentent d’objectiver ces compétences. La consommation des produits ou des services est bien entendu un autre levier de connaissance des compétences de la Marque. Cet apprentissage qui s’accumule alors au cours de la relation d’un client avec une Marque contribue d’ailleurs à expliquer l’augmentation de la confiance à l’égard d’une Marque ou d’une entreprise avec la durée de la relation.
- Un fondement affectif : il est de nature plus socio-psychologique.
Sur un plan sociologique, il consiste à accorder sa confiance en dehors de toute « bonne raison » objective de le faire.La confiance se construit alors lorsque les protagonistes partagent un certain nombre de représentations, de significations, de normes, de valeurs,…et s’inscrivent finalement dans une certaine proximité culturelle.
Sur un plan plus psychologique, la confiance se construit sur le fait qu’il est plus facile de « s’abandonner dans une relation de confiance que de demeurer sur ses gardes ». Ce ressort s’apparente le plus à une croyance. Celle-ci s’appuie sur sur l’attribution de qualités à l’autre partie qui la rendent justement digne de confiance. Pour nourrir cette perception, la notion de « bienveillance » est convoquée, terme qui renvoie à une attitude de la Marque qui consiste à placer l’intérêt de ses clients au-dessus de son intérêt propre.
Pour résumer, la confiance dans une Marque est une variable psychologique qui reflète un ensemble de présomptions accumulées par le consommateur quant à la crédibilité, l’intégrité et la bienveillance de celle-ci.
3 – Pourquoi la confiance est-elle si importante pour les Marques et le sera encore plus à l’avenir ?
La Marque incarne un contrat moral entre le consommateur et l’entreprise sous-jacente.
Objet immatériel, elle n’apparaît qu’à travers ses représentations, à travers les comportements de ses ambassadeurs, à travers les signes émis par les produits, les services, le personnel, la publicité, mais aussi par ce que les uns et les autres en disent ou en pensent…
De ce fait, la Marque est avant tout une Relation.
C’est la raison pour laquelle les études convergent sur ce point : la confiance que ressentent les clients à l’égard d’une Marque influe positivement sur l’attachement, c’est-à-dire sur la disposition du client à maintenir sa relation avec l’entreprise sous-jacente.
La confiance peut-être un prérequis pour les Marques qui cherchent à capter une clientèle et la confiance aurait un effet positif sur la probabilité de réachat.
A l’heure où la fidélisation est affichée comme une priorité stratégique par un grand nombre d’entreprises, on comprend que le thème de la confiance ne peut laisser les entreprises indifférentes. Si certaines publications ont également mis en évidence un effet de la confiance sur la satisfaction, la récente enquête menée par le Cabinet Deloitte auprès d’un échantillon de clients des banques rappelle qu’être satisfait ne suffit pas à nourrir un sentiment de confiance…
Enfin, la confiance est une des conditions d’un effet positif sur les performances de l’entreprise. En effet, la confiance est à la fois un « antécédent » et une résultante, c’est-à-dire la conséquence de la manière dont le client évalue les retombées de sa relation à l’entreprise . Les Marques peuvent ainsi tout aussi bien bénéficier d’une spirale de confiance que pâtir d’une dynamique d’auto-renforcement entre déception et défiance.
4 – Où en est-on aujourd’hui ?
Il est presque inutile de rappeler le contexte de défiance généralisée dans lequel nous évoluons aujourd’hui. Il touche toutes les relations entre les individus et les institutions, les grandes entreprises, les médias, les partis politiques,… et même les relations interpersonnelles. En 2006, selon le World Value Survey, seulement 19 % des Français déclarent que l’on peut avoir confiance dans la plupart des gens, 81 % estimant que l’on n’est jamais trop prudent dans ses relations avec les autres.
Les intérêts des marques et ceux des consommateurs ne sembleraient donc pas nécessairement convergents… Au-delà, c’est une certaine prise de distance par rapport au marketing et, plus généralement, à un certain modèle de consommation qui est jeu, comme en témoigne, par exemple, la montée régulière de la part de publiphobes dans la population française .
Signe intéressant : la défiance semble aller croissant à mesure que l’on considère des acteurs ou des institutions de grande taille, abstraites. Ainsi, dans le champ du politique, si l’on se méfie du gouvernement et, dans une moindre mesure, du parlement, le maire est la personnalité politique qui suscite le plus de confiance. Dans le commerce, la grande distribution suscite la défiance, à l’inverse du petit commerçant ! On se méfie de l’agriculteur mais on apprécie le paysan… Cette prise de distance par rapport au « grand » et au « loin », et l’attrait corrélatif exercé par le «petit» et le « proche » s’exprime également au travers du rapport des consommateurs à l’information qui guide leurs choix. Alors que l’information publicitaire en provenance des acteurs de l’offre est entachée de doute, les consommateurs sont de plus en plus utilisateurs des informations issues de leurs pairs, au travers des avis d’utilisateurs postés sur Internet ou des blogs et forums.
Une «confiance horizontale» est en train de compenser la «défiance verticale», en dépit, notons-le, de la quasi-absence de dispositifs institutionnels de nature à offrir un cadre à cette confiance.
5 – La confiance dans les Marques devra de plus en plus être pensée comme un levier critique de la compétitivité.
Mettre le client en amont de la réflexion stratégique conduit à réaliser qu’il ne demande jamais un produit pour lui-même, mais pour les effets utiles qu’il attend de sa consommation et, au-delà, de la contribution de ces effets utiles à l’apport d’une solution à un problème. Ainsi, l’entreprise peut gagner en compétitivité si, au lieu de vanter ses produits, elle se propose de fournir des effets utiles à son client, de l’aider à solutionner un problème. Ce déplacement de la focale du produit vers la solution modifie l’objet de l’échange. On est rarement en mesure de résoudre un problème avec un produit isolé, mais plutôt avec un ensemble de biens et services complémentaires dans l’usage, un « bouquet ». Mais, en règle générale, on ne vend pas un bouquet comme on vend un produit. Les produits sont vendus sur des « marchés transactionnels » où vendeurs et acheteurs entretiennent des relations ponctuelles, relativement impersonnelles et très concentrées sur le seul moment de la transaction. Les bouquets et, plus encore les solutions, impliquent pour être vendus des relations beaucoup riches et denses entre le vendeur et son client, établissent de ce que l’on pourrait appeler un « marché relationnel ». En forçant un peu le trait, comme le problème de chaque client est unique, la relation débouche sur une prestation personnalisée. L’objet de l’échange est donc coproduit par l’acheteur et le vendeur au cours des interactions qui les lient, en amont de la transaction, afin de définir les caractéristiques pertinentes de l’offre, et en aval, afin d’assister le client dans l’extraction des effets utiles, dans la production de la solution. Ce phénomène repose donc sur la densité et la durée de la relation
La densité de la relation tient tout à la fois à la quantité et à la diversité des informations échangées entre les parties prenantes, la fréquence de ces échanges et leur interactivité. La densité de la relation est une condition de la pertinence de l’ajustement de l’offre à la demande, de la solution au problème, au coût le plus juste. Il est donc dans l’intérêt du client de « jouer le jeu », de fournir des informations sur ses attentes, sur lui-même, sur la nature des effets utiles reçus… afin d’aider le vendeur à optimiser sa prestation. Le client doit ainsi, en quelque sorte, s’abandonner dans la relation, c’est-à-dire faire absolument confiance !
La durée de la relation est gage d’effets d’apprentissage pour les deux parties prenantes : le client apprend à connaître les fonctionnalités de l’offre, acquiert progressivement les compétences nécessaires à sa mise en œuvre, il apprend à interagir avec le prestataire qui à son tour apprend dans la relation la nature spécifique du problème du client et ajuste progressivement son tir.
Ainsi, que ce soit par la densité informationnelle de la relation ou par son inscription dans la durée, le client se trouve naturellement en situation de vulnérabilité à l’égard du vendeur : à la fois, il se livre et s’attache, et c’est une condition de la qualité des effets pour lui de la relation.
Il en résulte de nouveau que la confiance est un prérequis pour une entreprise qui souhaite parachever son orientation-client en s’engageant dans une logique de bouquet et d’offre de solutions.
6 – Quelles sont les pistes pour restaurer, développer, renforcer cette confiance ?
3 leviers doivent être actionnés :
- Les compétences comme gage de crédibilité et de fiabilité, comme expression des capacités cognitives de l’entreprise à tenir la promesse et à faire face aux imprévus. Renforcer la confiance passe ici par la volonté d’objectiver les compétences : certification des ressources de l’entreprises, de ses process ou de ses produits, mise à l’épreuve de l’offre de l’entreprise par des tiers de confiance, engagements de qualité tels que la durée de la garantie pour un bien durable ou une assurance de continuité du service pour une prestation de service… Toutefois, même si l’on s’efforce aujourd’hui d’objectiver les compétences (notamment par des dispositifs de qualification ou de certification), l’appréhension des compétences d’une entreprise (ou même simplement de la qualité de ses produits) ne peut généralement se faire que de manière imparfaite, en extrapolant des indices partiels, en interprétant des signaux. On retrouve ici la dimension de croyance associée à la notion de confiance. Peuvent entrer en ligne de comptes des éléments aussi disparates que la réputation de l’entreprise, l’apposition de labels de qualité sur ses produits, l’origine géographique de l’entreprise ou de sa production (« Das auto »…), les retours d’expérience des clients… D’où l’importance des produits emblématiques, des totems, des produits cautions, mais aussi des journées portes-ouvertes, des visites d’usines,…
- L’intégrité qui renvoie à une posture morale qui garantit que l’entreprise tiendra ses promesses, tiendra un discours honnête, et se comportera de manière équitable. Rassurer les clients sur son intégrité commence sans doute pour l’entreprise par le fait d’éviter de sur-promettre. Cela peut passer aussi par l’affichage d’un code de déontologie, par exemple. Au-delà de ce formalisme, il est intéressant pour l’entreprise de s’engager sur le terrain des valeurs et/ou à faire jouer un rôle actif à son personnel de contact en développant la nature des liens interpersonnels noués avec les clients. En effet, le contexte social de la relation fait que la confiance s’ancre dans l’anticipation de l’intégrité de l’autre.
- La bienveillance : C’est sans doute là le registre le plus difficile à objectiver. De manière générale la présomption de bienveillance sera d’autant plus forte que l’entreprise saura convaincre ses clients que ses propres intérêts passent par un comportement loyal à l’égard de ses clients. La bienveillance peut sembler contre-nature pour une entreprise capitaliste. Il peut cependant être dans son intérêt de long terme de développer cette posture, notamment dans un objectif de fidélisation, de constitution d’une rente relationnelle. En outre, la bienveillance n’est pas nécessairement un attribut de l’entreprise ; il peut être une qualité du personnel de contact. L’inclinaison à faire confiance peut également naître d’un sentiment de gratitude à l’égard de l’entreprise ou de la marque, sentiment induit par une expérience avec l’entreprise dans le passé au cours de laquelle la prestation a dépassé le niveau d’anticipation.
7 – Nos convictions pour développer concrètement la confiance
- Privilégier le long terme. La confiance est un actif qui se construit au cours du temps selon une logique cumulative (rappel, la confiance est à la fois un antécédent et une conséquence de la relation). Elle tend aussi à se propager par des effets de réputation. D’où l’enjeu essentiel de la réflexion sur la construction de la Marque et de ses fondamentaux.
- Emettre de signaux a priori sur le caractère digne de confiance de l’entreprise, et jouer la transparence sur ses faiblesses.
- Autant que possible, objectiver a posteriori par l’apport de la preuve
- Tenir ses promesses, voire promettre moins que ce que l’on est capable de faire afin de créer une disconfirmation positive, source de satisfaction et de gratitude.
- Accorder une attention particulière aux incidents susceptibles d’intervenir au cours de la relation. C’est une opportunité pour l’entreprise d’afficher ses compétences, de prouver son intégrité et de faire preuve de bienveillance.
- Miser sur le personnel de contact. Les efforts d’une entreprise pour développer son capital de confiance risquent de se révéler inopérants s’ils ne sont pas relayés et incarnés par le personnel au contact des clients. Dans l’autre sens, la confiance qui peut se nouer à l’occasion d’une relation interpersonnelle peut contribuer au capital de confiance de l’entreprise. Une stratégie centrée sur la confiance comporte nécessairement un volet « ressources humaines » important.
La pertinence de chaque levier de développement du capital de confiance de l’entreprise ou de la Marque dépend de la spécificité de sa situation sur chacun des trois pôles évoqués plus haut : les caractéristiques des clients, ses propres caractéristiques, et la nature des relations impliquées par la fourniture de l’offre de l’entreprise.
Un travail sur la confiance doit donc commencer par un audit précis de la situation de l’entreprise, en particulier une approche de la manière dont les clients et les clients potentiels évaluent ses compétences, son intégrité et sa bienveillance.