
Philippe MOATI
Professeur agrégé d’économie à l’Université Paris Diderot
Fondateur et co-président de L’association L’ObSoCo
La Chambre de Commerce Internationale vient de livrer la 9ème version de son code consolidé sur les pratiques de publicité et de communication commerciale (la première version date de 1937…). Il est sous-titré « construire une relation de confiance grâce à de bonnes pratiques marketing ». Ce sous-titre est symptomatique de l’effervescence qui règne autour du thème de la confiance dans le monde des entreprises, en particulier chez celles qui d’adressent aux consommateurs. En réalité, c’est plutôt la défiance qui agite les esprits, tant aujourd’hui les indices se multiplient qui attestent de la présence d’un lourd climat de défiance entre les consommateurs et les entreprises et leurs marques. De partout, le thème de la confiance est mis en avant dans la communication, signe que les entreprises ont compris l’enjeu stratégique d’un rétablissement d’une relation de qualité avec leurs clients et, sans doute au-delà, avec l’ensemble de la société civile.
L’objet de cette note est de préciser, à partir d’un survol de la littérature académique, en quoi consiste cette fameuse confiance, ce sur quoi elle se fonde. L’optique est d’aider les entreprises et les marques à identifier les leviers pertinents à l’instauration d’une relation de confiance avec les consommateurs. Alors que les marchés de consommation évoluent vers des logiques servicielles, la capacité à établir une relation de confiance est plus que jamais une condition de compétitivité à long terme.
Qu’est-ce que la confiance ?
Les ingrédients de base d’une définition générale de la confiance font l’objet d’un relatif consensus au sein de la communauté des chercheurs qui se sont penchés sur la question. Ceci quelle que soit leur discipline d’origine. Nous retiendrons ici la formulation qu’en donne Bohnet (2008) :
« La confiance, c’est l’acceptation de se rendre vulnérable aux actions d’une autre personne [ou d’une organisation/institution (PM)], acceptation fondée sur des croyances relatives au caractère digne de confiance [traduction maladroite de « trustworthiness » (PM)] de cette personne ».
Quelles sont les situations susceptibles de nous rendre vulnérable à autrui ? Et en quoi la confiance est-elle de nature à permettre la relation en dépit de cette vulnérabilité ?
La vulnérabilité aux actions d’autrui découle de l’existence d’un risque encouru par l’engagement dans la relation. L’acteur A, qui s’interroge sur l’opportunité de s’engager dans une relation avec un acteur B, se trouve en situation d’information imparfaite quant à la manière dont B se comportera effectivement au cours de la relation, alors le comportement de ce dernier conditionne les effets de la relation sur A. La notion de confiance est donc inséparable de celle de risque, ou plus encore d’incertitude . L’incertitude sur les comportements de l’autre, la perspective qu’il puisse profiter de mon ignorance ou de ma dépendance à son égard pour se comporter de manière opportuniste, est de nature à me dissuader de m’engager dans une relation avec lui si j’estime importantes pour moi les conséquences de comportements qui se révèleraient non conformes à mes anticipations. On comprend dans ces conditions que la vie économique – et, plus généralement, toute vie sociale – ne puisse s’envisager sans l’existence de dispositifs permettant aux acteurs de surmonter cette incertitude afin de les inciter à s’engager dans des systèmes de relation impliquant une vulnérabilité.
Ces dispositifs sont de nature variée. Evoquons tout d’abord les dispositifs de nature institutionnelle. Contrairement à la vulgate ultra-libérale, le libre jeu du marché, détaché de toute contrainte institutionnelle, est une fiction. L’établissement progressif d’une économie de marché, puis son essor, se sont appuyés sur la construction d’un socle institutionnel pourvoyeur de règles visant notamment à aider les acteurs à affronter cette question de l’incertitude . Qu’il suffise ici d’évoquer l’institutionnalisation du droit de propriété sans lequel l’échange marchand (qui s’assimile à la transmission d’un droit de propriété) ne peut être envisagé à grande échelle. Plus près de nous, nous pourrions également évoquer toutes les dispositions réglementaires visant la protection du consommateur allant, par exemple, de l’interdiction de la publicité mensongère à la garantie du fabricant. Les lois, les règlements, les normes…, ces institutions formelles, sont à l’origine d’une « confiance institutionnelle » sur laquelle peuvent s’appuyer les acteurs pour entrer en relation : chacun est dissuadé de se comporter de manière opportuniste de peur d’une sanction légale ; ceci constitue une connaissance commune qui rend prédictibles les comportements d’autrui et facilite l’engagement dans la relation. Ce socle institutionnel est l’un des principaux fondements de ce que l’on dénomme quelquefois confidence, le recours à cet anglicisme découlant de ce que la langue française manque de la nuance qui distingue en anglais trust de confidence. La confidence, c’est la confiance assurée , c’est une certaine assurance (mais pas une certitude) sur le comportement d’autrui reposant sur un jeu de sanctions auxquelles s’exposerait le contrevenant.
Les institutions formelles ne sont cependant pas en mesure de neutraliser toutes les sources d’incertitude, de sécuriser à 100 % l’ensemble des transactions. Comme le souligne, en économie, la théorie des coûts de transaction , la nature nécessairement incomplète des contrats (il est impossible de prévoir ex ante l’ensemble des contingences susceptibles d’affecter ce qui ressortira réellement d’une relation), la rationalité limitée des acteurs et, l’asymétrie d’information entre les parties qui peut inciter aux comportements opportunistes, font qu’il demeure une part irréductible d’incertitude dans chaque relation économique.
C’est ici qu’entre en jeu la confiance (trust), ou plus précisément la confiance décidée, c’est-à-dire le pari qui est fait sur le comportement coopératif de l’autre. Il s’agit bien d’un pari, car faire confiance c’est admettre qu’on se rend vulnérable aux actions de l’autre sur la base d’une simple conjecture, d’une croyance . Cette croyance peut, bien sûr, s’appuyer sur des éléments tangibles, plus ou moins fiables, mais qui ne suffisent pas à dissiper l’incertitude. La confiance vient alors combler l’incertitude résiduelle pour convaincre (ou non) de s’engager malgré tout dans la relation.
Résumons-nous. La confiance est ce mécanisme qui rend possible la relation en présence d’une incertitude qui ne peut être totalement éliminée par les mécanismes institutionnels. On l’aura compris, la confiance peut-être un prérequis pour les marques qui cherchent à capter une clientèle. Ce prérequis est plus ou moins important selon la nature de ce qui est échangé (les conséquences de l’incertitude sur la relation qui me lie à un vendeur de sucettes sont moins importantes que celles associées à l’incertitude que je vis dans ma relation avec un médecin), la nature de la relation offre/demande impliquée par l’échange (transaction ponctuelle, ou relation durable impliquant une dépendance), le profil du client (degré d’aversion à l’incertitude, orientation psychologique à la confiance), le profil du « vendeur » (nous y reviendrons), ainsi bien sûr que de la pertinence et la performance du cadre que les institutions fournissent à l’échange.
Approfondissons tout cela en nous arrêtant un moment sur les mécanismes à la base de la formation de la confiance.
Les mécanismes de formation de la confiance
La confiance est donc, souvent, un prérequis pour s’engager dans une relation (marchande), en tout cas dès lors que l’incertitude demeure. Sur quelles bases cette confiance décidée s’établit-elle ?
La littérature scientifique, en psychologique, en sociologie, en économie, invite à considérer trois grands fondements à la confiance.
Le fondement rationnel
Certains économistes font découler la confiance décidée d’un pur calcul rationnel fondé sur l’anticipation d’un comportement rationnel de la part de la marque ou de l’entreprise. Le raisonnement est simple : qu’est-ce qui pourrait dissuader un vendeur cherchant à maximiser son profit d’exploiter de manière opportuniste une situation d’asymétrie d’information ? Le fait d’avoir plus à y prendre qu’à y gagner !
Ainsi, les consommateurs pourraient être enclins à accorder leur confiance à des entreprises poursuivant, a priori, des objectifs contraires aux leurs. Dans quelles circonstances, l’atteinte de cet objectif se trouverait-il finalement compromis par l’adoption de comportements opportunistes ? Lorsque l’entreprise a massivement investi dans des actifs (une marque, une réputation, l’établissement d’une relation…), dont la valeur pourrait brusquement s’évaporer s’il advenait qu’elle ne tenait pas ses engagements. C’est un peu ce qu’ont vécu certaines entreprises qui prétendaient s’engager dans la RSE, mais ne pratiquaient en réalité que du green ou du social washing. Une fois démasquée, la sanction peut être sévère. Le même argument était avancé par les (mêmes) économistes pour justifier la publicité et la loyauté de son discours : tout l’investissement réalisé au travers de la publicité dans l’image de la marque serait perdu s’il s’avérait que les clients constatent que la promesse n’est pas tenue. Du coup, la promesse est crédible… Le même type d’arguments explique pourquoi, à l’inverse, il est difficile d’accorder sa confiance, par exemple, à un restaurateur implanté sur un site touristique ayant principalement à faire à une clientèle de passage (remarquons que des dispositifs du type Trip Advisor pourraient là aussi changer la donne en permettant la formation d’un capital de réputation…).
Le fondement cognitif
Un consommateur sera d’autant plus enclin à faire confiance à une marque qu’il est en mesure d’évaluer certaines caractéristiques de la marque et de l’entreprise susceptibles de le rassurer sur la probabilité qu’elle se comportera conformément aux anticipations.
La première de ces caractéristiques est la compétence, gage de la fiabilité de l’entreprise (reliability) et de la crédibilité de ses promesses. L’entreprise dispose-t-elle effectivement des compétences nécessaires pour offrir une prestation conforme aux anticipations ? Même si l’on s’efforce aujourd’hui d’objectiver les compétences (notamment par des dispositifs de qualification ou de certification), l’appréhension des compétences d’une entreprise (ou même simplement de la qualité de ses produits) ne peut généralement se faire que de manière imparfaite, en extrapolant des indices partiels, en interprétant des signaux. On retrouve ici la dimension de croyance associée à la notion de confiance. Peuvent entrer en ligne de comptes des éléments aussi disparates que la réputation de l’entreprise, l’apposition de labels de qualité sur ses produits, l’origine géographique de l’entreprise ou de sa production (« Das auto »…), les avis de tiers de confiance et les retours d’expérience de clients…
L’apprentissage qui s’accumule au cours de la relation d’un client avec une marque et de la consommation de ses produits est une autre source de connaissance des compétences de la marque. Ce qui contribue à expliquer un résultat souvent observé dans les recherches empiriques selon lequel la confiance à l’égard d’une marque ou d’une entreprise augmente avec la durée de la relation.
Le fondement affectif
Ce troisième fondement est d’une nature plus socio-psychologique. Il consiste à accorder sa confiance en dehors de toute bonne raison objective de le faire.
On peut y voir là d’abord le jeu d’un ressort sociologique. Lorsque les parties prenantes s’inscrivent dans une certaine proximité culturelle, ils partagent des représentations, des significations, des valeurs et des normes. L’encastrement de la relation dans un tel substrat social concoure à la réduction de l’incertitude de par le partage du sens, l’effet miroir qui crée de l’empathie entre les parties et facilite l’anticipation des comportements de l’autre, par le jeu des sanctions sociales qui condamnerait les comportements déviants . Ce fondement à la confiance semble a priori plus particulièrement approprié aux relations interpersonnelles. Il est cependant souvent mis en avant pour expliquer la qualité de la coopération entre entreprises d’un même territoire dans le cadre d’un district industriel. Il est plus difficile à conceptualiser dans le cadre d’une relation entre une marque et les consommateurs, sauf précisément pour l’entreprise à s’engager sur le terrain des valeurs et/ou à faire jouer un rôle actif à son personnel de contact et à la nature des liens interpersonnels noués avec les clients. De manière plus « molle », ce ressort sociologique de la confiance renvoie tout simplement au fait que les parties prenantes, qui appartiennent à la même société au sens large, en partagent les valeurs fondamentales, ce qui est l’origine d’anticipations croisées quant au respect, non seulement des lois, mais des us et coutumes de cette société. Le terreau social sur lequel s’inscrit la relation fait naître des « attentes ”normales”, impersonnelles, socialement sanctionnée : en principe, quand je paie un commerçant, il me donne le produit et me rend la monnaie exact. C’est tellement normal qu’au moins dans des circonstances familières, je ne vérifie plus : je suppose que nous partageons tous cette norme » . Autrement dit, le contexte social de la relation fait que la confiance s’ancre dans l’anticipation de l’intégrité de l’autre.
Un autre ressort se situe sur un plan plus psychologique : la pure inclination à faire confiance. Ce ressort, qui est de tous les fondements de la confiance, celui qui s’apparente le plus à une croyance, s’appuie d’abord sur le fait qu’il est bien plus confortable sur un plan psychologique de s’abandonner dans une relation de confiance que de demeurer sur ses gardes, d’être à l’affut d’indices sur lesquels fonder son jugement… Sur quoi cette envie de faire confiance peut-elle s’appuyer ? Sur l’attribution de qualités à l’autre partie (qualités, et non compétences) qui la rendent digne de confiance. On retrouve ici la présomption d’honnêteté, l’intégrité. La recherche en marketing insiste beaucoup sur la notion de bienveillance (benevolence) comme attribut de celui qui sollicite la confiance. Appliquée à une entreprise ou une marque, la bienveillance renvoie à une attitude altruiste consistant à placer l’intérêt des clients au-dessus de son intérêt propre . La bienveillance peut sembler contre-nature pour une entreprise capitaliste. Il peut cependant être dans son intérêt de long terme de développer cette posture, notamment dans un objectif de fidélisation, de constitution d’une rente relationnelle. En outre, la bienveillance n’est pas nécessairement un attribut de l’entreprise ; il peut être une qualité du personnel de contact. L’inclination à faire confiance peut également naître d’un sentiment de gratitude à l’égard de l’entreprise ou de la marque, sentiment induit par une expérience avec l’entreprise dans le passé au cours de laquelle la prestation a dépassé le niveau d’anticipation. La gratitude serait d’autant plus forte que « cette disconfirmation positive » est attribuée plus à de la bienveillance qu’à des intérêts bien compris . Son effet sur la confiance peut consister en un effet de loupe positif sur l’évaluation qui est faite des autres ressorts de la confiance (compétence, intégrité, bienveillance) .
En définitive, et ce point est relativement consensuel parmi les spécialistes du marketing qui ont travaillé sur la confiance, « la confiance dans une marque, du point de vue du consommateur, est une variable psychologique qui reflète un ensemble de présomptions accumulées quant à la crédibilité, l’intégrité et la bienveillance que le consommateur attribue à la marque » (Gurviez et Korchia, 2002, p. 7). L’importance relative de ces trois composantes est, bien sûr, dépendante de l’identité des protagonistes et des caractéristiques de la transaction en question .
Un contexte de défiance généralisée
Si la question de la confiance est aujourd’hui à l’ordre du jour, et en bonne place à la fois de l’agenda de travail des chercheurs et les préoccupations des acteurs économiques, c’est qu’elle prend un nouveau relief avec l’installation d’un climat de défiance généralisée.
Nous irons vite sur le diagnostic, qui est aujourd’hui bien connu et qui a été souvent traité ailleurs.
Les résultats de l’Eurobaromètre de la Commission Européenne, partiellement repris dans le tableau ci-dessous, sont d’une grande clarté. Le sentiment de défiance est très fort ; il s’exprime tous azimuts, et il s’inscrit dans une tendance à la hausse depuis au moins une dizaine d’années. Certes la France, structurellement, s’affiche dans ce genre d’enquêtes comme un des pays où la défiance est particulièrement répandue, invitant à voir là un trait culturel. Cependant, les indicateurs sont en hausse, en France, mais aussi à l’échelle de l’Union.
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La défiance donc, à des degrés divers, à tous les échelles. Jusqu’à l’échelle interpersonnelle. En 2006, selon le World Value Survey, seulement 19 % des Français déclarent que l’on peut avoir confiance dans la plupart des gens, alors qu’ils estiment à 81 % que l’on n’est jamais trop prudent dans ses relations avec les autres. Un score qui nous rapproche du Brésil, de l’Argentine ou de l’Afrique du Sud…
La défiance, qui touche massivement beaucoup d’institutions – les partis politiques en tête – n’épargne par les entreprises. Les grandes en particulier. Une approche par secteur révèle, sans surprise, que c’est la banque, l’assurance, mais aussi la distribution, qui suscitent les plus fortes réserves. Dans le même mouvement, ce sont les marques qui sont affectées. Le surcroît de prix, notamment par rapport aux marques de distributeurs, est massivement perçu comme « injuste » . Au cours des dernières années, plusieurs enquêtes ont mis en évidence la montée d’un certain désamour mâtiné de défiance. Les intérêts des marques et ceux des consommateurs ne seraient pas nécessairement convergents… Au-delà, c’est une certaine prise de distance par rapport au marketing et, plus généralement, à un certain modèle de consommation qui est jeu, comme en témoigne, par exemple, la montée régulière de la part de publiphobe dans la population française14.
Signe intéressant : la défiance semble aller croissant à mesure que l’on considère des acteurs ou des institutions de grande taille, abstraites. Ainsi, dans le champ du politique, si l’on se méfie du gouvernement et, dans une moindre mesure, du parlement, le maire est la personnalité politique qui suscite le plus de confiance. Dans le commerce, la grande distribution suscite la défiance, à l’inverse du petit commerçant ! On se méfie de l’agriculteur mais on apprécie le paysan… Cette prise de distance par rapport au « grand » et au « loin », et l’attrait corrélatif exercé par le « petit » et le « proche » s’exprime également au travers du rapport des consommateurs à l’information qui guide leurs choix. Alors que l’information publicitaire en provenance des acteurs de l’offre est entachée de doute, les consommateurs sont de plus en plus utilisateurs des informations issues de leurs pairs, au travers des avis d’utilisateurs postés sur Internet ou des blogs et forums. Une « confiance horizontale » est en train de compenser la « défiance verticale », en dépit, notons-le, de la quasi-absence de dispositifs institutionnels de nature à offrir un cadre à cette confiance.
Pourquoi la perte de confiance aujourd’hui ?
Analyser en profondeur les raisons de ce climat de défiance dépasse les ambitions de ce texte. Survolons quelques facteurs généraux, qui puisent leurs racines dans des tendances sociétales lourdes (pour aller plus loin, voir par exemple Thuderoz (2003)).
On pourrait évoquer la tendance longue au recul de l’adhésion aux grands systèmes de pensée, qui contribuait à une certaine convergence à grande échelle des représentations et des attentes réciproques. Le processus d’individualisation, qui en constitue la contrepartie en offrant à chacun davantage de latitude pour définir son système de valeur et ses modèles de comportement, conduit à une stratification sociale plus complexe qui est de nature à redéfinir les conditions de l’établissement de la confiance.
Il serait également utile de mettre en avant la montée des inquiétudes avec l’affirmation de risques globaux, aux conséquences potentiellement catastrophiques, vis-à-vis desquels se diffuse le sentiment d’une impuissance de nos dispositifs de régulation collectifs à avoir efficacement prise. En se limitant à l’actualité des derniers mois, Fukushima et la crise de l’Euro illustrent l’ampleur du problème. Une première réaction de l’opinion à ce contexte est la sinistrose, qui s’illustre notamment pas l’anticipation de lendemains plus noirs qu’aujourd’hui. C’est l’idée même de progrès – fondement de la culture occidentale – qui est ainsi attaquée. L’anxiété débouche sur une quête de rassurance, à laquelle les « institutions » (dont les grandes entreprises et les marques) se révèlent bien en peine de répondre, par impuissance ou parce qu’elles sont identifiées comme partie prenante aux problèmes du monde. Une autre réaction – qu’on sent aujourd’hui s’activer – est de réagir, de ne plus attendre la solution aux problèmes de la part d’acteurs auxquels on ne fait plus confiance, mais en bricolant à son niveau, avec d’autres comme soi, organisés en réseau, des solutions à petite échelle (que l’on pense au développement du marché de l’occasion, de la location entre particulier, du co-voiturage, des AMAP…).
Facteurs spécifiques aux relations marchandes
Ces facteurs sociétaux généraux constituent la toile de fond de la défiance dont souffrent aujourd’hui les marques. Mais il convient de leur ajouter des facteurs plus spécifiques à la relation marchande, qui touchent les trois pôles qui définissent le périmètre de la problématique de la confiance/défiance : les caractéristiques du client, celles attribuées au « vendeur », et la charge d’incertitude associée au contexte de la relation.
Du côté du client, on retrouve ici des tendances sociétales lourdes qui, entre la montée de l’individualisation et celle des inquiétudes, conduisent à considérer avec beaucoup plus de prudence ce qui se joue dans une relation commerciale et, plus généralement, dans la consommation. Autrement dit, les consommateurs ont une perception de plus en plus aigüe de ce qui s’opère au travers de la consommation : sur-promesses du marketing, risques pour l’intégrité physique, risques pour la planète… On découvre chaque jour que tel ou tel produit, qui nous paraissait jusque-là inoffensif et paré de seules propriétés positives, fait courir un risque à celui qui le consomme : les matières grasses hydrogénées dans les produits alimentaires, les parabènes dans les cosmétiques… Avec l’affaire du Médiator, on atteint sur ce point un sommet !
Sommet qui nous renvoie au deuxième pôle, celui des caractéristiques attribuées aux vendeurs, en particulier les intentions qui l’animent. Un doute semble se répandre qui est relatif à la convergence des intérêts des vendeurs et des clients. Sans doute faut-il voir ici les conséquences sur l’opinion de la mondialisation et, plus récemment, de la crise financière. C’est l’idée géniale de la « main invisible » d’Adam Smith qui est remise en question : et si, finalement, la poursuite des intérêts individuels ne menait pas ipso facto à l’intérêt collectif, voire carrément aller à son encontre ? A un niveau supérieur, ce qui semble de plus en plus contestée c’est l’idée selon laquelle l’économie serait au service de la société, que la croissance économique serait le gage du progrès social. Bref, en dépit du discours ambiant sur « l’orientation-client », sur l’exigence de la satisfaction du client, le « client roi »…, on doute de plus en plus que les intérêts des entreprises convergent réellement avec ceux des consommateurs. Ce sont l’intégrité et la bienveillance, comme fondement de la confiance, qui se trouvent ici ébranlés. Ce qui, naturellement, appelle le consommateur à se tenir sur ses gardes et à n’accorder sa confiance qu’avec réticence…
Enfin, troisième pôle, le degré d’incertitude qui entoure la relation (au-delà, donc, des intentions prêtées aux vendeurs). Or, en la matière, force est de constater que l’incertitude va croissant. Incertitude, tout d’abord, sur les caractéristiques réelles de ce qui est acheté. Lorsque la consommation porte sur des produits tangibles simples (une cafetière électrique, un jean, un paquet de spaghettis…), nous sommes relativement sereins au moment de l’achat quant aux bénéficies – aux effets utiles – que nous tirerons de leur consommation. La raison réside du côté de la standardisation dont ces produits ont fait l’objet (une forme institutionnelle de réduction de l’incertitude) ainsi que du fait que leur simple observation suffit à délivrer l’information essentielle sur leurs caractéristiques. La norme de consommation a cependant évolué et le poids de ce type de produits dans le budget des ménages n’a cessé de reculer. Pour une part croissante de ce que nous achetons, nous sommes a priori (au moment de l’achat) très ignorants des caractéristiques réelles des offres et des effets utiles que nous tirerons effectivement de leur consommation.
Trois facteurs vont dans ce sens :
- Les produits incorporent de plus en plus de technologie, ce qui rend leurs caractéristiques plus complexes ; l’enrichissement de leurs fonctionnalités rend leur évaluation plus ardue et réduit la commensurabilité des offres concurrentes.
- Les services prennent une part croissante dans le budget des ménages (ils représentent aujourd’hui 60 % de leurs dépenses de consommation). Or, l’une des caractéristiques distinctives des services par rapport aux biens tangibles est que leur production est concomitante à leur consommation. L’évaluation de la qualité d’un service ne peut donc se faire qu’ex post, une fois le service acheté et consommé. L’acheteur d’un service se trouve donc confronté à une incertitude consubstantielle, laquelle depuis longtemps a donné lieu au développement de dispositifs visant à émettre en amont de l’achat des signes de qualité permettant de rassurer le consommateur sur la qualité du service dont il bénéficiera après l’achat.
- Le mouvement « d’orientation-client » qui touche peu ou prou l’ensemble des marchés de consommation, et sur lequel nous reviendrons, s’accompagne de l’essor des offres composites, de packs, de bouquets, consistant à réunir de manière plus ou moins rigide un ensemble des biens et de services complémentaires dans l’usage. L’évaluation de la qualité d’une offre composite, qui renvoie non seulement à la qualité de chacun de ses éléments constitutifs mais aussi à la manière dont ces éléments ont été intégrés, se trouve considérablement complexifiée de même que l’anticipation des effets utiles que produira sa consommation. En outre, chaque offreur ayant tendance à construire des bouquets selon des périmètres et des architectures qui lui sont propres, la commensurabilité des offres est souvent rendue très difficile (qu’il suffise de penser aux bouquets des opérateurs de télécommunication…).
L’incertitude s’est également renforcée sur le terrain des prix. Nous nous écartons progressivement du modèle du prix fixe sur lequel s’étaient bâtis les marchés de grande consommation du temps du capitalisme industriel. Que ce soit sous l’effet de la surenchère promotionnelle ou de la diffusion de la pratique de « yield management », la variabilité des prix dans le temps, dans l’espace, selon les circuits de distribution et selon le profil des clients, s’est considérablement renforcée. Les consommateurs éprouvent de plus en plus de difficultés à définir un prix de référence et sont ainsi exposés en permanence à l’incertitude relative au caractère compétitif ou non des prix auxquels ils sont confrontés. Ceci contribue sans doute largement à la large diffusion d’un sentiment de défiance concernant le caractère « juste » des prix qui sont pratiqués sur les marchés de consommation. Ajoutons, que la complexité tarifaire qui accompagne le développement des offres bouquets accroît le sentiment d’opacité et favorise l’adoption d’une posture de défiance.
Au total, on voit que les raisons d’accorder avec circonspection sa confiance aux acteurs de l’offre ne manquent pas ! Mais après tout, est-il vraiment si important que les entreprises bénéficient de la confiance des consommateurs ? On pressent bien sûr que oui… Cette intuition est effectivement soutenue par quantité de recherches académiques dont nous allons maintenant tenter de synthétiser les résultats.
Pourquoi la confiance est importante dans l’entreprise ou la marque ?
Le principal résultat sur lequel débouche la littérature académique empirique est que la confiance que ressentent les clients à l’égard d’une entreprise ou d’une marque influe positivement sur l’attachement, c’est-à-dire sur la disposition du client à maintenir sa relation avec l’entreprise. Au terme d’une méta-analyse des études empiriques sur ce thème, Geyskens et al. (1998) écrivent :
« Sur le long terme, les relations caractérisées par la confiance sont si fortement valorisées que les parties désirent continuer à s’engager dans de telles relations ».
Selon une perspective proche de l’attachement, la confiance aurait un effet positif sur la probabilité de réachat. A l’heure où la fidélisation est affichée comme une priorité stratégique par un grand nombre d’entreprises, on comprend que le thème de la confiance ne peut laisser les entreprises indifférentes. Cet effet de la confiance sur l’attachement et la fidélité peut être direct ou bien transiter par d’autres variables, telles que l’attitude à l’égard de la marque ou la valeur perçue de son offre . Certaines publications ont également mis en évidence un effet de la confiance sur la satisfaction , mais la récente enquête menée par le Cabinet Deloitte auprès d’un échantillon de clients des banques rappelle qu’être satisfait ne suffit pas à nourrir un sentiment de confiance…
Un autre résultat établi par la littérature est que la confiance est une des conditions d’un effet positif sur les performances de l’entreprise de la gestion de la relation client .
Enfin, ce que la littérature montre, c’est que la confiance est à la fois un « antécédent » (une variable explicative d’indicateurs de performances) et une résultante, c’est-à-dire la conséquence de la manière dont le client évalue les retombées de sa relation à l’entreprise . Les marques peuvent ainsi tout aussi bien bénéficier d’une spirale de confiance que pâtir d’une dynamique d’auto-renforcement entre déception et défiance.
Pourquoi est-il aujourd’hui particulièrement important de renouer avec la confiance ?
Il serait donc dans l’intérêt des entreprises de réussir à susciter un sentiment de confiance auprès de leur cible. L’enjeu stratégique attaché à la confiance nous semble être considérablement renforcé par la manière dont le fonctionnement des marchés de consommation est en train de se transformer.
Conséquence probable de la conjonction d’une hyperconcurrence associée notamment à la mondialisation et d’un relèvement des exigences de performance actionnariale, les entreprises de chaque secteur ont progressivement pris conscience de l’importance de mettre le client en amont de la réflexion stratégique et de considérer la clientèle comme un capital qu’il convient de protéger et de faire fructifier. La thématique de « l’orientation-client » ou de l’entreprise « customer-centric » s’est ainsi diffusée à la fois dans la littérature académique et dans les pratiques managériales. Cette mise en avant du client s’accompagne d’un déplacement de l’objet de l’échange, qui entraîne à son tour une altération de la nature même du « marché ». Arrêtons-nous un instant sur ce point qui nous aidera à comprendre pourquoi la confiance devra de plus en plus être pensée comme un levier critique de la compétitivité .
Mettre le client en amont de la réflexion stratégique conduit à réaliser qu’il ne demande jamais un produit pour lui-même, mais pour les effets utiles qu’il attend de sa consommation et, au-delà, de la contribution de ces effets utiles à l’apport d’une solution à un problème. Ainsi, l’entreprise peut gagner en compétitivité si, au lieu de vanter ses produits, elle se propose de fournir des effets utiles à son client, de l’aider à solutionner un problème. Ce déplacement de la focale du produit vers la solution modifie l’objet de l’échange. On est rarement en mesure de résoudre un problème avec un produit isolé, mais plutôt avec un ensemble de biens et services complémentaires dans l’usage, un « bouquet ». Notons que plus le bouquet est riche plus (s’il est compétitif) l’entreprise est capable de tirer un flux de valeur important de chaque client. Mais, en règle générale, on ne vend pas un bouquet comme on vend un produit. Les produits sont vendus sur des « marchés transactionnels » où vendeurs et acheteurs entretiennent des relations ponctuelles, relativement impersonnelles et très concentrées sur le seul moment de la transaction. Les bouquets et, plus encore les solutions, impliquent pour être vendus des relations beaucoup riches et denses entre le vendeur et son client, établissent de ce que l’on pourrait appeler un « marché relationnel ». En forçant un peu le trait, comme le problème de chaque client est unique, la relation débouche sur une prestation personnalisée. L’objet de l’échange est donc coproduit par l’acheteur et le vendeur au cours des interactions qui les lient, en amont de la transaction, afin de définir les caractéristiques pertinentes de l’offre, et en aval, afin d’assister le client dans l’extraction des effets utiles, dans la production de la solution. Il en découle que le fonctionnement efficient de ces marchés relationnels, et donc la satisfaction des clients, dépend de la qualité de la relation entre les vendeurs et les acheteurs. Cette qualité de la relation repose sur deux caractères : sa densité et sa durée.
La densité de la relation tient tout à la fois à la quantité et à la diversité des informations échangées entre les parties prenantes, la fréquence de ces échanges et leur interactivité. La densité de la relation est une condition de la pertinence de l’ajustement de l’offre à la demande, de la solution au problème, au coût le plus juste. Il est donc dans l’intérêt du client de « jouer le jeu », de fournir des informations sur ses attentes, sur lui-même, sur la nature des effets utiles reçus… afin d’aider le vendeur à optimiser sa prestation. Le client doit ainsi, en quelque sorte, s’abandonner dans la relation.
La relation n’est pas seulement dense, elle s’inscrit dans la durée. La durée de la relation est gage d’effets d’apprentissage pour les deux parties prenantes : le client apprend à connaître les fonctionnalités de l’offre, acquiert progressivement les compétences nécessaires à sa mise en œuvre, il apprend à interagir avec le prestataire. Ce dernier apprend dans la relation la nature spécifique du problème du client et ajuste progressivement son tir. La durée dans la relation est requise également par le besoin d’amortir les actifs spécifiques dans et pour la relation. Les apprentissages dont il vient d’être question constituent de tels actifs spécifiques. Ils sont coûteux pour l’entreprise et doivent être amortis dans le temps, de même que doivent l’être les coûts fixes associés aux dispositifs techniques ou informationnels qui doivent être mis en œuvre pour commencer à délivrer les effets utiles (pensez à la fourniture de la box adsl et au coût de connexion au réseau que doit engager un fournisseur d’accès à Internet lorsqu’il démarre une relation avec un nouveau client). Du côté du client, ces apprentissages constituent des « coûts de sortie » dans la mesure où changer de fournisseurs impliquerait de renoncer à leurs bénéfices et de reprendre à zéro une nouvelle dynamique d’apprentissage. L’importance de l’inscription de la relation dans la durée peut se traduire par l’établissement de conditions contractuelles qui viennent alors renforcer de manière objective la captivité et la dépendance du client.
Ainsi, que ce soit par la densité informationnelle de la relation ou par son inscription dans la durée, le client se trouve naturellement en situation de vulnérabilité à l’égard du vendeur : à la fois, il se livre et s’attache, et c’est une condition de la qualité des effets pour lui de la relation.
Cette digression doit permettre de comprendre à quel point la confiance est un prérequis pour une entreprise qui souhaite parachever son orientation-client en s’engageant dans une logique de bouquet et d’offre de solutions. Elle doit tout d’abord rassurer le client potentiel sur ses compétences sur une offre composite susceptible de faire appel à des métiers hétérogènes, potentiellement très différents de celui auquel est attachée son image. Elle doit aussi apporter la preuve de l’intérêt pour le client d’obtenir une solution intégrée auprès d’un guichet unique, au lieu d’autoproduire la solution en acquérant les différents éléments du bouquet auprès de vendeurs spécialisés et en réalisant l’intégration par lui-même. Enfin, le client doit être convaincu de l’intégrité et de la bienveillance du prestataire, avoir l’assurance qu’il n’exploitera pas les données personnelles qui lui seront livrées pour autre chose que l’optimisation de la prestation, qu’il n’abusera pas de sa situation de vulnérabilité, par exemple, en pratiquant la vente liée de produits non réclamés par la production de la solution, par la mise en place d’une tarification injuste, l’instauration de coûts de sortie prohibitifs…
Les marchés de solution sont quasiment devenus la règle dans les échanges inter-entreprises. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard si la recherche académique sur la confiance s’est d’abord concentrée sur les relations inter-entreprises, autour des problématiques d’alliances stratégiques, de partenariats, de fonctionnement en réseau. La logique des bouquets et des marchés de solutions commencent à se diffuser sur les marchés de consommation, témoignant d’une orientation servicielle croissante. Plus encore que sur les marchés BtoB, la confiance sera un prérequis pour les entreprises qui voudront avancer dans cette direction, car la décision d’un particulier de s’engager dans ce type de relation (et de s’abandonner à ce type de dépendance) fera intervenir bien plus que le calcul économique de l’acheteur professionnel. La relation comportera par nature une asymétrie de pouvoir de négociation qui est à l’opposé de celle que l’on trouve généralement sur les marchés BtoB, et ne pourra pas faire l’objet d’une contractualisation sophistiquée permettant de nourrir une confiance « assurée ».
Comment établir la confiance ?
Pour finir, intéressons-nous aux voies offertes à une entreprise qui chercherait à favoriser le sentiment de confiance auprès de ses clients effectifs et potentiels. Là encore, la littérature académique nous fournit quelques pistes de réflexion.
L’examen des mécanismes de formation de la confiance auquel nous nous sommes livrés plus haut nous fournit une grille de lecture des facteurs sur lesquels reposent la faculté d’une entreprise ou d’une marque d’inspirer confiance (trustworthiness). Ce sont trois grand facteurs – ou registres – que la littérature nous invite à distinguer . Nous les avons déjà rencontrés. Précisons-en le contenu et les leviers qu’ils offrent aux entreprises.
- Les compétences comme gage de crédibilité et de fiabilité, comme expression des capacités cognitives de l’entreprise à tenir la promesse et à faire face aux imprévus. Renforcer la confiance passe ici par la volonté d’objectiver les compétences. Les voies sont nombreuses. Elles passent de la certification ou la labélisation des ressources de l’entreprise, de ses process ou de ses produits, à la mise à l’épreuve de l’offre de l’entreprise par des tiers de confiance, en passant par des engagements de qualité tels que la durée de la garantie pour un bien durable ou une assurance de continuité du service pour une prestation de service…
- L’intégrité qui renvoie à une posture morale qui garantit que l’entreprise tiendra ses promesses, tiendra un discours honnête, et se comportera de manière équitable. Rassurer les clients sur son intégrité commence sans doute pour l’entreprise par le fait d’éviter de sur-promettre. Cela peut passer aussi par l’affichage d’un code de déontologie.
- La bienveillance, qui renvoie à la mesure dans laquelle le client attribue à l’entreprise des intentions et des motifs tels qu’elle se comporterait de manière conforme à ses intérêts si de nouvelles conditions devaient émerger, y compris si elles devaient ouvrir une occasion de comportement opportuniste profitable pour l’entreprise . C’est sans doute là le registre le plus difficile à objectiver. De manière générale la présomption de bienveillance sera d’autant plus forte que l’entreprise saura convaincre ses clients que ses propres intérêts passent par un comportement loyal à l’égard de ses clients.
Un certain nombre de règles de comportement traverse ces trois registres :
- Emettre de signaux ex ante sur le caractère digne de confiance de l’entreprise, et jouer la transparence sur ses faiblesses.
- Autant que possible, objectiver ex post par l’apport de la preuve
- Tenir ses promesses, voire promettre moins que ce que l’on est capable de faire afin de créer une disconfirmation positive, source de satisfaction et de gratitude.
- Accorder une intention particulière aux incidents susceptibles d’intervenir au cours de la relation. C’est une opportunité pour l’entreprise d’afficher ses compétences, de prouver son intégrité et de faire preuve de bienveillance.
- Privilégier le long terme. La confiance est un actif qui se construit au cours du temps selon une logique cumulative (rappel, la confiance est à la fois un antécédent et une conséquence de la relation). Elle tend aussi à se propager par des effets de réputation.
- Miser sur le personnel de contact. Les efforts d’une entreprise pour développer son capital de confiance risquent de se révéler inopérants s’ils ne sont pas relayés et incarnés par le personnel au contact des clients. Dans l’autre sens, la confiance qui peut se nouer à l’occasion d’une relation interpersonnelle peut contribuer au capital de confiance de l’entreprise. Une stratégie centrée sur la confiance comporte nécessairement un volet « ressources humaines » important.
La pertinence de chaque levier de développement du capital de confiance de l’entreprise et/ou de ses marques dépend de la spécificité de sa situation sur chacun des trois pôles évoqués plus haut : les caractéristiques des clients, ses propres caractéristiques, et la nature des relations impliquées par la fourniture de l’offre de l’entreprise. Un travail sur la confiance doit donc commencer par un audit précis de la situation de l’entreprise, en particulier une approche de la manière dont les clients et les clients potentiels évaluent ses compétences, son intégrité et sa bienveillance.
Philippe Moati
Professeur d’économie à l’Université Paris Diderot
Co-président de l’Observatoire Société et Consommation
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